1717
: naissance de la Franc-maçonnerie spéculative
Les loges rassemblant des Maçons « acceptés » – et donc tout
à fait étrangères aux problèmes du métier – vont se multiplier
en Grande-Bretagne au XVIIème siècle. Peut-être constituaient-elles
un refuge pour les hommes de bonne volonté dans une Angleterre
déchirée par les guerres de religions et les querelles dynastiques.
En 1717 à Londres quatre loges – dont on ne sait si elles existaient
depuis quelques jours ou de nombreuses années –
se fédèrent et créent la Grande Loge de Londres et de Westminster.
Les animateurs de la nouvelle Grande loge, en dépit de leurs
dénégations, semblent avoir constitué une organisation profondément
nouvelle. On ne peut que remarquer les liens de beaucoup d'entre
eux – au premier rang desquels le huguenot français Jean-Théophile
Désaguliers – avec la Royal Society et les milieux Newtoniens.
Les disciples de Newton prônaient la tolérance religieuse et
l’étude de la nature.
Dès
1723 la nouvelle organisation publiera ses Constitutions et
règlements dont la rédaction a été confiée au Pasteur, d’origine
écossaise, James Anderson. Les Constitutions d’Anderson reprennent
en partie les Anciens Devoirs mais elles apportent aussi des
innovations capitales comme d’assurer aux Francs-Maçons la liberté
de conscience.
L’article premier « concernant Dieu et la Religion » précise
en effet : « quoique dans les temps anciens, les Maçons fussent
obligés, dans chaque pays d’être de la religion du pays ou nation,
quelle qu’elle fût, aujourd’hui il a été considéré plus commode
de les astreindre seulement à cette religion sur laquelle tous
les hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres opinions,
c’est-à-dire d’être des hommes de bien et loyaux ou des hommes
d’honneur et de probité ».
Tout
au long du XVIIIème siècle les loges vont se multiplier en Grande
Bretagne, elles se rangeront sous l’obédience des Grandes Loges
d’Ecosse (fondée en 1736) ou d’Angleterre (celle de 1717). Celle-ci
verra apparaître une rivale en 1751, une nouvelle Grande Loge
dite, bien que plus récente, « des Anciens ». 1725 : Implantation
de la Franc-maçonnerie en France
Taverne
l'Oie et le Grille où se seraient réunis les premiers
francs maçons
1725
: Implantation de la Franc-maçonnerie en France
C’est
autour de 1725 qu’apparaissent les premières loges en France.
Elles s’implantent dans l’ambiance libérale et anglophile apparue
sous la Régence et ne touchent d’abord que la haute aristocratie.
L’authenticité de la filiation rituelle est dès l’origine une
préoccupation des Maçons. Avant que les Grandes Loges ne centralisent
l’octroi de patentes aux nouveaux ateliers, ceux-ci les demandaient
aux loges anciennes et bien établies qui se créaient ainsi tout
un réseau de loges filles.
Avant 1738, les premiers Grands-Maîtres de la Franc-maçonnerie
française sont – probablement comme la majorité des frères –
des exilés britanniques résidant en France. En 1743, le Comte
de Clermont est élu Grand-Maître, il le restera jusqu’à sa mort
en 1771. Noble de haut rang, son rôle est d’être un protecteur,
il n’intervient pas dans la gestion directe de l’Ordre et n’exerce
qu’un parrainage distant relayé par des substituts.
1738
inaugure une longue série de bulles papales d’excommunication
des Francs-Maçons. Le Pape reproche à l’Ordre sa tolérance religieuse,
on ne met pas sur un même plan la vérité et l’erreur ! Cependant
ces bulles ne seront jamais enregistrées par les parlements,
étape obligée pour avoir force de loi, et les ecclésiastiques
seront nombreux dans les loges.
Si le gouvernement du Cardinal Fleury cherche un temps, sans
succès, à interdire la Franc-maçonnerie, c’est qu’il y voit
un repaire de Jansénistes. Ceux-ci étaient considérés comme
des opposants à la monarchie absolue et des partisans de la
liberté de conscience. C’est aussi l’époque où les cérémonies
et les secrets des Maçons sont révélés au public par des livres
ou des gravures.
A
partir de 1740 la Maçonnerie va se diffuser largement dans toute
la France. Rares sont les petites villes qui ne compteront pas
de loges. Elles sont un lieu de convivialité où – bien dans
l’esprit du siècle – les frères célèbrent la vertu et l’égalité.
Peu à peu – et probablement de manière inconsciente – s’y développe
une sociabilité libérale et démocratique qui prépare insensiblement
l’avènement des idées nouvelles.
Le
Grand Orient de France.
De 1736 à 1755 les loges de France ne sont fédérées que par
une allégeance peu contraignante au « Grand Maître des Loges
du Royaume », protecteur prestigieux et lointain qui leur laisse
une totale liberté. Entre 1755 et 1766, les Vénérables des loges
de la capitale, réunis en une « Grande Loge des Maîtres de l’Orient
de Paris dite de France », vont essayer d’établir leur autorité
sur l’ensemble de la Maçonnerie française. Mais cette « Première
Grande Loge de France » n’arrivera jamais à s’imposer. Elle
sera déstabilisée de façon chronique par les querelles entre
systèmes de hauts-grades rivaux qui essayent d’en prendre le
contrôle et se met en sommeil en 1766.
1773 voit une nouvelle tentative pour doter la Maçonnerie française
d’un centre commun et d’une autorité reconnue. Deux principes
sont définis : l’élection des officiers et la représentation
de toutes les loges. Sur cette base les représentants de toutes
les loges – y compris et pour la première fois des loges de
provinces – sont convoqués. Les travaux des 17 réunions plénières
aboutissent à la formation du Grand Orient de France. Au nom
du Grand Maître, le Duc de Chartres, et sous l’autorité réelle
de l’Administrateur Général, le Duc de Montmorency-Luxembourg,
le Grand Orient est géré par trois chambres où siègent les représentants
élus des loges. Comme le précise une circulaire de 1788 : «
le fonctionnement du Grand Orient est essentiellement démocratique
». Les neuf dixièmes des loges françaises se rallient à la nouvelle
structure.
La
création du Grand Orient marque le retour aux leviers de commande
de la Maçonnerie française de la noblesse libérale et de la
bourgeoisie éclairée. Celles-ci joueront naturellement un rôle
de premier plan dans les événements de 1789. On retrouve des
Maçons dans tous les débats, et dans tous les camps, de la Révolution
Française. Ils sont cependant sur-représentés chez les Girondins.
Au delà des itinéraires personnels, la sociabilité maçonnique
et le fonctionnement des loges, basés sur la discussion et l’élection,
ont certainement largement contribué – peut-être dans beaucoup
de cas inconsciemment – à la diffusion des idées nouvelles.
Dans les années qui précèdent la Révolution, des loges prestigieuses
comme Les Neufs Sœurs, Les Amis Réunis ou La Candeur rassemblent
des élites gagnées au « parti philosophique ».
Le
temple Groussier GODF rue Cadet à Paris
La
Maçonnerie des Bonaparte
Entre
1800 et 1815, la Maçonnerie fut à la fois favorisée et étroitement
contrôlée. La bourgeoisie voyait en Napoléon un rempart contre
le retour de l’Ancien Régime et les dérives de la Révolution.
Les élites bourgeoises qui accèdent au pouvoir grâce à la Révolution
et à l’Empire ont souvent maçonné sous l’Ancien Régime. Elles
restent en général fidèles à l’Ordre. Sur les 25 maréchaux d’Empire
17 sont Francs-Maçons, dont Bernadotte, Brune, Kellerman, Lannes,
Mac Donald, Masséna, Mortier, Murat, Ney, Oudinot. Le Grand
Maître est Joseph Bonaparte, le frère de l’Empereur, et les
loges sont effectivement gouvernées par Cambacérès.
Le Grand Orient connaît alors un grand développement dans les
139 départements que compta la France impériale à son apogée.
La Maçonnerie est cependant un des rares endroits où les opposants
– modérés – à l’Empire furent tolérés. Ainsi les « Idéologues
», Cabanis, Destutt de Tracy, Garat, qui avaient essayé d’établir
sous le Directoire une République « à l’américaine », purent
continuer à maçonner. Par ailleurs, dans toute l’Europe napoléonienne,
la Maçonnerie impériale fut l’outil de diffusion de la philosophie
des Lumières, à laquelle étaient massivement restés fidèles
les cadres de l’Empire. Les principes philosophiques et religieux
de la Révolution restent à l’honneur… seules les questions politiques
sont totalement proscrites ! Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie
ou Murat, roi de Naples sont aussi Grands-Maîtres en leur royaume.
L’Empire a été une période faste pour les rites et les décors
maçonniques. Le Rite Français reste largement majoritaire, le
Rite Ecossais Ancien et Accepté s’implante et est promis à un
bel avenir mais on pratique aussi les Rites Ecossais Philosophique,
d’Heredom de Kilwinning, de Perfection ou des Ecossais Primitifs…
Les tabliers deviennent somptueux et de prestigieux graveurs
comme le frère Coquardon frappent de superbes jetons de présence
de loge.
A la suite de l’expédition du Caire, la Maçonnerie verse dans
une intense égyptomanie. Dans « La Franc-maçonnerie rendue à
sa véritable origine », Alexandre Lenoir explique les sept grades
du Rite Français à la lumière des mystères de Memphis, sanctuaire
de l’« initiation éternelle » et en 1813 apparaît le Rite de
Misraïm ou d’Egypte.
Médaille
d'une Loge L'aigle Impériale fondée en 1807 à
Paris
Le
cheminement souterrain des idées républicaines
Comment l’institution politiquement conformiste qu’était la
Maçonnerie sous le Premier Empire devient, en quelques décennies,
l’une des principales caisses de résonance des idées nouvelles
? Sous la Restauration, les loges d’orientation explicitement
progressiste et politique sont de rares exceptions. Mais les
groupes d’opposition comme la Charbonnerie leur sont très liés.
Par ailleurs, même la majorité des ateliers maçonniques, en
professant et en mettant en œuvre une sociabilité libérale où
étaient invoquées la vertu et la fraternité humaine ont rempli,
probablement inconsciemment pour la plupart d’entre eux, le
rôle de conservatoires des principes de 1789.
En 1830, de très nombreux maçons sont impliqués dans les Trois
Glorieuses et le Parti du Mouvement, dont le F Lafayette est
la figure emblématique, apparaît largement maçonnisé. L’échec
politique des libéraux de progrès à partir de 1834 accentuera
le brassage des idées nouvelles dans les loges. En 1836 « Les
Elus de Sully », à Brest, demande, sans succès, au Grand Orient
de changer leur titre en « Les Disciples de Fourier » . A Paris,
« La Clémente Amitié » organise des cours de Fouriérisme. L’intérêt
pour les questions politiques et sociales n’est plus l’exception.
1848 verra l’émergence de la première génération de loges engagées.
Le gouvernement de la Seconde République compte de nombreux
maçons dont Flocon, Crémieux, Garnier-Pagès, Pagnerre, Carnot
et Shoelcher qui fait aboutir son généreux combat pour l’abolition
de l’esclavage.
L’échec des démocrates-socialistes à partir de 1849 porte un
coup très dur à des dizaines de loges du Grand Orient. Le préfet
conservateur de l’Yonne se plaint que la loge « Le Phénix »
« initie… aux funestes doctrines du socialisme ». Le Vénérable
de « L’Unanimité » est l’un des « meneurs du parti révolutionnaire
». L’engagement de nombreuses loges en faveur d’une République
sociale mit en difficulté l’administration du Grand Orient lors
du retour au pouvoir du parti conservateur. La Maçonnerie était
en ligne de mire. La diplomatie du frère Perier, secrétaire
de l’obédience, réussit à limiter la répression à la fermeture
définitive de 5 ou 6 ateliers au plus, les plus engagés, et
à la suspension provisoire de quelques dizaines de loges. Les
« Démoc-Soc » quarante-huitards réfugiés à Londres constituent
des loges d’opposants à Napoléon III.
Le
Second Empire Pour survivre à la proclamation de l’Empire
Autoritaire
et prévenir toute interdiction de la Maçonnerie après le Coup
d'état du 2 décembre, le Grand Orient dut donner
des gages. Il porta donc à sa présidence Lucien Murat, un proche
de Napoléon III qui n’était pas des plus éclairés. Il tenta
de constituer une maçonnerie « officielle » limitée à l’exercice
du rituel, à la bienfaisance et à l’étude de la morale. On doit
néanmoins mettre à son actif l'achat de l'ancien hôtel du Maréchal
de Richelieu, qui est aujourd'hui encore le siège du Grand Orient
de France. Cette tentative de reprise en main autoritaire du
Grand Orient créa de multiples oppositions, au point que le
Grand Maître Murat fut obligé de se retirer en 1861.
Lucien
Murat
La
liberté de conscience et la question des femmes
La consolidation de la IIIe République dans les années 1880
marque donc le retour de la Maçonnerie dans l'espace social
où se fait l'Histoire.
Il
va s'accompagner d'un profond renouvellement de l'institution.
Le courant progressiste lancé en 1860 par Massol – le prophète
de la «Morale indépendante» – prend le pouvoir au Grand Orient
en 1880. A la même époque les loges bleues du Suprême Conseil
s’émancipent pour finalement créer la Grande Loge de France.
Les jeunes cadres de la nouvelle République, marqués par le
positivisme, vont aussi vouloir réformer la Maçonnerie pour
en faire un outil au service du progrès de l’humanité.
Ainsi – héritage croisé du déisme des Lumières et du spiritualisme
de 1848 – la Constitution du Grand Orient précisait que la Franc-maçonnerie
avait pour principes « l’existence de Dieu et l’immortalité
de l’âme ». Cette obligation de nature religieuse n’était plus
respectée dans les faits à une époque où les élites intellectuelles
étaient profondément marquées par l’agnosticisme philosophique
d’Auguste Comte. En 1877, le Convent du Grand Orient de France
abolit donc cette obligation. Ainsi est née la Maçonnerie libérale
– ou adogmatique – qui, considérant que l’engagement maçonnique
n’est pas d’essence religieuse, laisse à ses membres la liberté
de croire ou de ne pas croire. Cette décision fait aujourd’hui
encore l’originalité du Grand Orient en le mettant à l’avant-garde,
selon les uns, ou hors la loi, selon les autres, de la Franc-maçonnerie
universelle.
A
partir du moment où la Maçonnerie se voulait le fer de lance
de l’émancipation de l’Humanité, il était de plus en plus difficile
d’exclure la moitié de celle-ci de l’initiation maçonnique.
Tant à la Grande Loge qu’au Grand Orient, les débats sur l’entrée
des femmes en Franc-maçonnerie vont se multiplier entre 1880
et 1920. Deux solutions apparaissent. En 1893 se crée une obédience
accueillant hommes et femmes sur un pied d’égalité : l’«Ordre
Maçonnique Mixte International Le Droit Humain». En 1901, la
Grande Loge de France refonde les loges d’adoption ne réunissant
que des sœurs. Ces loges d’adoption prendront leur indépendance
et constitueront par la suite la Grande Loge Féminine de France.
A côté du «Droit Humain» se sont formées d’autres obédiences
mixtes comme la G.L.M.U. ou la G.L.M.F.
L'entre
deux-guerre ou l'ère des interrogations
Les
lendemains de la «Guerre de 14» sont une période de doutes et
d’interrogations pour la conscience européenne. Le progrès,
la science, la démocratie n’ont pas empêché l’horreur des tranchées
qui a englouti sauvagement toute une partie de la jeunesse.
Les maçons n’échappent pas à cette ambiance de remise en question.
D’autant que si la République, fermement installée au prix de
combats et de sacrifices, a apporté beaucoup – libertés publiques,
enseignement, début de protection sociale – l’usure du pouvoir
commence aussi à se faire sentir. Le «Cartel des Gauches» sera
le dernier grand combat politique dans lequel les loges s’engageront
directement.
De ces interrogations, la personnalité d’Arthur Groussier est
emblématique.
Issu de la politique militante – parlementaire socialiste, il
est le créateur du Code du Travail – il invite les maçons à
se pencher sur leur histoire et à revisiter leur patrimoine
symbolique. Oswald Wirth et sa revue «Le Symbolisme», Edmond
Gloton et «La Chaîne d’Union», témoignent du retour d’un intérêt
pour les questions spécifiquement maçonniques. Dans cette perspective,
le Grand Orient réveille le Régime Ecossais Rectifié. Toujours
soucieuse de la place de l’homme dans la cité, la démarche maçonnique
se veut cependant plus philosophique que directement politique.
Ce recentrage s’accompagne d’une active politique internationale.
Grâce à l’«Association Maçonnique Internationale », la maçonnerie
française établit des relations d’amitié avec la plupart des
grandes obédiences européennes.
Si l’antimaçonisme est contemporain de l’apparition des loges
au XVIII e s. , il connaît une véritable flambée à partir de
1870. Rome et les prélats français voient dans la maçonnerie
«La Synagogue de Satan» et – professant aussi un antisémitisme
virulent – ils dénoncent le «complot judéo-maçonnique». De la
Révolution Française à l’avènement de la III e République, les
loges sont accusées d’avoir été le fer de lance de l’humanisme
et du modernisme. Dès que l’extrême-droite prend le pouvoir
– en Italie, en Allemagne et en France à l’occasion de l’occupation
nazie – les loges sont interdites et les maçons pourchassés.
Le régime collaborateur de Vichy édictera des lois antimaçonniques,
pillera les temples ; de nombreux frères mourront en camps de
concentration. La Franc-maçonnerie sera l’une des composantes
importantes de la Résistance.
L’article premier « concernant Dieu et la Religion » précise
en effet : « quoique dans les temps anciens, les Maçons fussent
obligés, dans chaque pays d’être de la religion du pays ou nation,
quelle qu’elle fût, aujourd’hui il a été considéré plus commode
de les astreindre seulement à cette religion sur laquelle tous
les hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres opinions,
c’est-à-dire d’être des hommes de bien et loyaux ou des hommes
d’honneur et de probité ».
Tout au long du XVIIIème siècle les loges vont se multiplier
en Grande Bretagne, elles se rangeront sous l’obédience des
Grandes Loges d’Ecosse (fondée en 1736) ou d’Angleterre (celle
de 1717). Celle-ci verra apparaître une rivale en 1751, une
nouvelle Grande Loge dite, bien que plus récente, « des Anciens
».
Photo
:Arthur Groussier
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